Je ne vous ai jamais raconté d’anecdote sur les enfants avec qui je travaille ? J’ai manqué à mon devoir ! Ils sont pourtant une formidable source d’inspiration, je connais des enseignants qui écrivent des livres entiers sur les “perles” qu’ils rencontrent auprès de leur public. Moi je ne pense même pas à les noter !
Pourtant je suis émerveillée à chaque fois que j’entends les prouesses de nos apprentis linguistes, cette effervescence qu’ils ont à s’approprier les mots et à les utiliser. Je parle d’effervescence, parce que les enfants ont une telle passion pour les mots, une telle fierté à les retenir et à pouvoir s’en servir, qu’ils pétillent dans leur bouche. Et nous le savons, pour peu que le gaz soit trop puissant dans une bouteille de pétillant, son bouchon nous échappe et il peut atterrir n’importe où !
En ce qui concerne les enfants, c’est du bonheur à l’état pur. J’en ai eu une démonstration cette semaine :
Les enfants sont dans le couloir, en train de se préparer pour aller en récréation, et nous les aidons dans leurs tâches avec la maîtresse. La petite Chloé, qui habituellement attend qu’on la prépare entièrement, malgré son année d’ancienneté, est déjà toute prête. Elle patiente, bonnet sur la tête et gants sur les mains, que la maîtresse donne son feu vert pour partir. Seulement, pour cela, il faut attendre que tous les enfants soient prêts…tous ! A côté d’elle, le petit Léandre, lui est toujours en chaussons, il attend que ces bottes de neige viennent à lui…on ne sait jamais, à force un jour ça peut fonctionner. En attendant, maîtresse lui dit : “Ecoute Léandre, je t’ai dit que tu devais au moins mettre tes bottes tout seul, et moi je t’aiderai à mettre ta veste. On ne va pas t’attendre.”
Elle devait avoir sacrément chaud la petite Cholé, ça devait fumer même, parce que comme son voisin ne bougeait pas plus, au bout de 30 secondes, ça a pétillé et elle lui a dit : “Léandre, t’as entendu ce qu’elle a dit maîtresse, on ne va pas t’attendre six quarts d’heure, faut mettre tes bottes !”
Ce sont trois sentiments qui ont traversé ma poitrine, en entendant ces mots et cette expression un peu déformée : une immense joie, de la fierté et un peu de honte quand même. De la joie bien sûre, j’ai explosé de rire, tellement c’était sincère et franc. De la fierté, parce que l’expression “trois quart d’heure”, c’est moi qui l’emploi . Et un peu de honte, parce que c’est une expression qui reste familière tout de même, et je la place assez souvent : “Qu’est-ce que tu fais encore dans les toilettes, tu joues avec l’eau ? Ça fait trois quarts d’heure que je t’attends pour faire l’atelier de peinture, tu devais juste te laver les mains.”. “ Je vais à la sieste sans toi, c’est maîtresse qui va t’accompagner avec les enfants qui reviennent de la maison, ça fait trois quarts d’heure que j’attends que tu mettes tes chaussons.”…ça m’a vacciné, je ne le dis plus.
Au travers du discours des enfants, on retrouve beaucoup des adultes, nous sommes leurs modèles et dans notre métier nous essayons d’en avoir conscience. Il ne faudrait pas qu’ils rentrent à la maison en annonçant à leurs parents : “Putain je suis crevé, j’ai enfilé des perles toute la journée et c’est pas une expression, je peux te le dire ! La maîtresse elle est grave, elle chante la même chanson tous les matins, ça commence à me taper sur la courge !”…non, on fait attention tout de même, à ne pas en arriver là, on maîtrise notre langage.
Mais il y a aussi pas mal d’incongrues. Des réflexions auxquelles on ne s’attend pas et qui nous surprennent au vol :
Nous sommes dans la salle de sieste, la directrice rentre pour accompagner un retardataire vers son lit. En ressortant, elle passe devant un petit qui s’agite. On le sait, cet enfant ne dort jamais, rien n’y fait, mais un peu de repos dans un endroit calme ne peut que lui faire du bien. Mais elle essaie tout de même: “Et bien alors, Noé, tu ne dors pas ? Tu devrais essayer de fermer les yeux ça te ferait du bien” , et le petit de lui répondre : “Ben non, parce que si je ferme les yeux, je vois plus rien !”…elle est donc là l’explication à son agitation quotidienne, et nous n’y avons même pas pensé ! La question qui subsiste, c’est : comment fait-il la nuit ? Il doit tomber d’épuisement, la fatigue le prend par surprise…je ne vois que ça !
C’est ça le langage, ça traduit le fond de notre pensée, nos sentiments, et souvent ça sort de travers. Mais avec les enfants, on corrige la direction du vent, on leur apprend à ne pas blesser, à expliquer les choses gentiment, à vivre ensemble. C’est notre mission au quotidien…alors pourquoi on ne continu pas avec les adultes ?
Avec les adultes on aurait plutôt tendance à ne pas savoir quoi dire, à laisser les gens sortir les pires bêtises qui soient et les laisser dans leurs problèmes…parce qu’après tout, ils sont bien assez grands pour comprendre tout seuls. Eh bien, je suis d’avis, que si c’était le cas, ça serait moins le bordel sur terre, moi je vous le dis !
A partir de quand on a arrêté de nous apprendre à nous exprimer dans la bienveillance, et dans le respect d’autrui, et à se défendre dans la bienveillance et le respect d’autrui, à l’école, à la maison, dans tout endroit où il y avait un adulte bienveillant et responsable ? Moi, en tout cas je ne me souviens plus…ça doit s’apprendre tout seul, c’est comme ça. Chez certain ça s’arrête à partir du moment où on entend : “S’il te tape, tu le tapes, ne te laisse pas faire”…je crois que pour les parents les plus démunis, ça commence trois semaines après la rentrée de petite section !
Ça n’enlèvera pas la passion que j’ai développée, moi-même, pour les mots et leurs pouvoirs. Je peux les tester, les manipuler, jouer avec et les transmettre dans, au moins, deux domaines au quotidien : mon travail, et l’écriture. Un peu chez ma psy, aussi quand j’en ai besoin, avec mes amies, ma famille…quand ils en ont besoin. C’est une source intarissable (Et croyez-moi, “intarissable” c’est mon deuxième prénom quand il s’agit de parler !) de bonheur, à portée de main.
Je vous embrasse.
Virginie .
Une réponse sur « (30) « Expression Orale! » »
C’est tellement vrai ce que tu dit bisous
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