Cette semaine je ne croyais pas avoir la force d’écrire, mais depuis deux jours, c’est devenu comme une nécessité j’écris même dans ma tête, le texte est quasiment prêt, j’ai juste à le poser sur le clavier de l’ordinateur
J’ai perdu un ange dans ma vie. Samedi pour la dernière fois j’ai dit au revoir à mon amie, dans une salle blanche, sur de jolis bancs en bois, des textes ont été lus, des discours ont été prononcés dans les sanglots et les larmes…c’est fini je ne la reverrai plus, il y a quelques jours elle a choisi de partir et d’abandonner sa vie.
Laissez moi, le temps d’un texte, lui rendre hommage, me permettre de poser les mots que j’ai du retenir, parce qu’ils auraient été indécents devant la peine de sa sœur et de sa fille, parce que ce n’était pas mon temps mais celui de sa famille.
Sandra, ma chère et douce Sandra, je t’ai connu en 1998 , j’avais 21 ans tu en avais 26, tu étais en face de moi parmi les autres membres du jury qui allait m’embaucher pour ma première expérience professionnelle dans l’animation périscolaire, j’allais être ton adjointe à la coordination périscolaire d’une des écoles d’Annecy.
Je venais de parcourir la France depuis deux ans, pour essayer d’obtenir le sacro saint concours pour une école d’orthophonie…peine perdue au vu de mon niveau en orthographe, mais l’espoir faisant vivre et pour prouver à l’ensemble des membres de ma famille qu’ils avaient raison sur mon échec, cette année là je me lançais dans une troisième tentative.
Tu m’as choisie pour ça, pour ce parcours que tu avais tenté de suivre quelques années auparavant, toi aussi, en vain. Tu t’es reconnue en moi.
Un jour alors que j’ intervenais auprès d’un enfant qui s’exprimait un peu trop fort dans le réfectoire, tu t’es penchée vers moi avec ce flegme et cette bienveillance qui te caractérisaient tant et tu m’as dit : « Je ne crois pas que parler plus fort que lui soit la meilleure méthode pour lui expliquer qu’il doit baisser d’un ton…à mon avis il va faire le contraire. »
Depuis ce jour-là chaque fois que j’entends un adulte hausser la voix, ou que moi-même, les jours de fatigue, je me surprends à perdre mon calme, aussitôt je pense à cette phrase, c’est systématique !
C’est le premier et le dernier conseil verbal que tu m’a donné. Oh non pas parce que je l’ai mal pris ce jour-là, bien au contraire, mais parce qu’il suffisait de t’observer pour apprendre.
Tu avais la fibre de la transmission, cette fibre de la pédagogie, qui sait qu’un acte vaut mieux qu’un long discours.
Tu a supporté mes étourderies, mon incapacité à remplir une grille de présence cantine, combien d’enfants ont failli ne pas avoir leur repas à cause de moi ?! Mais tu a persévéré, et tu as cru en moi. J’avais enfin trouvé ma voie !
Un été, tu m’as demandé de venir arroser les plantes chez toi, tu m’a filé les clés de l’appartement et tu m’a dit que si je voulais je pouvais rester y loger les 15 jours… vu que j’habitais chez ma mère ça me ferait des vacances à moi aussi !… je suis resté 6 mois.
Et depuis cette vie en colocation, une question me taraude l’esprit : comment peut-on manger aussi lentement !
Je t’avais déjà vu à la cantine, finir ton entrée, lorsque nous en étions au dessert ; je n’y avais prêté qu’une insignifiante attention, étant donné que mon estomac, lui n’a jamais le temps de faire la différence entre une feuille de salade, la sauce du bœuf bourguignon et la crème dessert, tout est ingurgité instantanément !
Mais passer autant de petits déjeuners en face de toi, m’a fait prendre la mesure du phénomène. Je pense, que seuls les moines tibétains et les hamsters étaient capables de surpasser ta lenteur de mastication.Tu vois l’image ? Moi je la voyais tous les matins.
Dans l’appartement il y avait une salle de bain et une cuisine entourée d’une chambre et d’un salon. La chambre c’était la tienne, le salon lui, le jour il me servait d’atelier de dessins, et de chambre musicale pour ton violoncelle, la nuit c’était ma chambre, une vraie vie de bohème. Ma première vie d’adulte.
Plus je m’investissais dans ce métier d’animatrice, plus je devenais pragmatique pour compenser mon étourderie, je suis la reine des outils de travail. Plus je vivais avec toi, plus je me rendais compte, à quel point ton sens artistique prenait le dessus sur ta vie, contrairement à ce que tu montrais dans ton travail, sérieux et organisation.
À l’image de ce déménagement, vers ton nouvel appartement, où j’avais convié ma petite bande de bras musclés, et toi ton compagnon musicien.
Mes amis se rappellent encore de deux choses. La première, c’est le musicien qui a descendu deux marches avant de se casser les reins, n’ayant d’autre choix que d’abandonner à leur sort ses compagnons au milieu des escaliers ! La deuxième, c’est le poids de ton armoire, alourdie par tous les vêtements encore sur leur cintre se bringuebalant sur les portants : « je ne vois pas l’utilité de mettre tout ça dans des cartons, alors qu’il faudra les remettre dans la penderie ensuite…autant qu’ils y restent ! »
Ah ma Sandra, un contraste d’intelligence et de rigueur, de sensibilité et de poésie. Belle, élancée, les yeux d’une clarté cristalline, un timbre de voix cassée (et oui tu n’est jamais monté dans les aigus toi, tu ne connaissais pas ton bonheur), les hommes dont tu tombais amoureuse, aurait fait de toi une reine, ils en ont tous eu l’intention…mais ils refusaient une chose, de faire des enfants.
Ces artistes dans l’âme, t’auraient emmenée au bout du monde, mais ils te voulais toi et toi seule.
Ce besoin d’être mère, nous l’avons partagé ça aussi, il était viscérale ! Mon côté pragmatique s’étant considérablement développé, mon plan était très simple :si je ne trouvais pas le père de mes enfants passés 30 ans, soit je les ferai toute seule à l’aide d’une banque un peu spéciale, soit j’irai voir du côté des homosexuels !
Les princes « charmants » ou « pas »je n’y croyais plus, trop de belles paroles, trop de sens unique.
Mais je n’ai pas attendu mes 30 ans, heureusement, avant de rencontrer cet homme dont le cœur bat à la même fréquence que le mien, et qui est devenu de ce fait le Père des deux autres petits cœurs qui partagent notre vie
La maternité, tu en avais presque fait le deuil, à quoi bon ! Tu avais peut être fini par te dire, qu’un enfant c’était trop « concret », une vie d’imaginaire, de passion t’attendait dans les bras de tes poètes.
Or, Le désir d’enfant nous rattrape toujours.
Un jour le cœur ne répondant pas à tes attentes, tu as choisi la raison. Et dans un élan de rationalité démesurée, tu est allée chercher le futur papa sur internet ! Sur la toile, dans les échanges à distance, sans la chimie des corps, sans le cœur, on se trouve des points communs, et des projets communs.
Je ne me rappelle plus quels étaient ces fameux points communs, mais le jour de mes 31 ans, tu es venue accompagnée et le ventre arrondi par 7 mois de grossesse. Tu étais sereine est heureuse, dans votre maison, à la campagne, à faire pousser tes légumes, avec tes chaussettes en laine, devant les flammes de ton poêle à bois. Une vie simple et paisible.
On dit qu’une grenouille jetée dans une eau à 50 degré pousse les pattes au fond de la casserole pour s’en échapper. Aux premières humiliations, tu t’es sauvée. J’étais si fière de toi, tu n’avais pas attendu du subir l’emprise. Ta sœur était passée par là, tu savais ce par quoi elle était passée.
Tu ne vivais plus avec le bourreau, mais il continuait à asséner ses coups. Seule tu pouvais te défendre bec et ongles, mais tu n’était pas seule. Tu avais ta petite, toute petite fille, si fragile, qui ne mangeait pas, et préférait s’attaquer aux manches de ses pulls plutôt que d’ingurgiter le moindre aliment, …elle avait sans doute compris dans son inconscient profond, le malaise de cette famille.
Tes neveux et nièce avaient vécu cela et subissaient encore la tyrannie d’un père, de ceux que l’on appelle « pervers narcissiques », ta sœur avait eu la version agressive, dois tu avais la version sournoise… si tu courbait l’échine il ne l’atteindrai peut être pas.
S’il était capable de t’humilier en sa présence, lorsqu’il te la ramenait, sans aucune conscience de l’impacte que cela aurait sur ta fille, sur sa construction mentale lorsque l’on détruit la figure d’attachement d’un enfant, que pourrait-il lui faire s’il perdait le contrôle sur toi.
Des années durant tu as baissé la tête, tu as eu peur pour ta « nounnette », mais tu es restée droite dans tes bottes…elle comprendrait un jour que c’était lui le fou, que c’était lui le mal.
Puis elle a grandit, elle ne mangeait plus ses pulls, elle s’autorisait une alimentation normale. Comme elle était également doté de conscience, ce n’est plus seulement à travers des messages qu’il essayait de t ‘atteindre, c’est à travers elle.
Il te comparait à une tortue au zoo, qu’importe « ma nounnette, c’est gentil une tortue, qu’est ce que tu en penses ? ». Il estimait que tu n’étais pas assez intelligente pour lui faire faire ses devoirs, « ma nounnette, ton père a fait trop d’études, il pense ça de beaucoup de personnes, ne t’inquiète pas, ça ne me blesse pas »…elle aurait peut-être aimé que ça te mette en colère, qui sait ?
L’anorexie a fait place à la guerre des modes d’éducation, et l’emprise continuait. Plus il devenait laxiste et permissif, pour l ‘amadouer, plus tu maintenais le cap et devenais rigide aux yeux de ton enfant. Lentement mais sûrement, les choses continuaient de t’échapper.
Quelque chose s’est brisé. Les signes étaient là, mais tu ne les as pas reconnus. Les angoisses ont commencés à voler tes nuits, à t’affaiblir, jusqu’à ce que tu ne travaille plus. Deux ans durant tu as chercher qu’elle pouvait en être la cause… n’y pouvant plus tu avais déjà fais une tentative pour en finir.
Jusqu’à ce que ton corps lâche, il y a un an, les mots ont été posés : dépression ! Trois mois d’hospitalisation.
Que pouvions nous faire ? Les courses, à manger, tes papiers, ton ménage, quand plus aucune force ne te portait, quand la fatigue prenait le dessus !
Tu étais à terre, il se rendrait compte des conséquences…bon sang, il verrait qu’il était allé trop loin, que tu ne méritais pas ça, que ta fille avait besoin de sa mère ! Qu’il fallait te reconstruire arrêter le massacre !
Il a préféré donner le coup de grâce, ta fille il fallait mieux te la retirer définitivement.
Je m’arrête là, tout le monde a compris ce que j’essaie de transmettre à travers ce devoir de mémoire. Je t’ai vu te relever, te battre, essayer de vaincre les médicaments, essayer d’avoir un semblant de vie de mère en attendant que ton corps se rétablisse. J’ai même revue de la joie de vivre, une incroyable résonnance à la nature, à l’energie qui nous entoure, j’avais confiance, tu allais t’en sortir !
Mercredi dernier tu devais venir manger à la maison, tu devais m’apporter des courgettes, tu avais même insisté quand je t’ai dit que seule ta présence me suffisait. Tu n’es jamais venue, et tu ne viendra plus jamais.
Je ne t’en veux pas, j’ai compris. Mon cœur de mère a compris. La douleur se dissipera, elle mettra du temps, mais je sais que tu y veilles.
Ta virginie.